Le franc CFA, instrument d'asservissement des pays africains, par Claire Fighiera
Dans un entretien du 5 janvier 2014 accordé à Meta tv, Nicolas Agbohou, docteur en économie et enseignant à la Sorbonne, nous explique les spécificités du franc CFA qui en font un véritable instrument de soumission des pays utilisateurs de cette monnaie à leur colonisateur, la France. Ces informations sont essentielles pour comprendre une partie du fonctionnement de l'Afrique francophone, et comment les pays qui en font parti sont restreints dans leur activité économique, par une monnaie sur laquelle ils n'ont aucun pouvoir. Ce qui suit n'est qu'un aperçu de ce que nous apprend le professeur Agbohou dans son interview, dans laquelle il nous livre des explications extrêmement claires et illustrées (liens disponibles à la fin de l'article).
Le franc CFA est géré par 3 banques centrales:
Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO)
Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC)
Banque centrale des Comores (BCC)
La France siège au conseil d'administration de chacune de ces banques centrales (2 représentants par pays membre + 2 représentants français): les décisions doivent être adoptées à l'unanimité par les membres du conseil, par conséquent les pays de la zone franc CFA ne peuvent prendre aucune décision sans le vote favorable, donc sans l'accord de la France. La banque centrale finance le développement des pays: la France, par le rôle qu'elle y joue, impose un niveau de sous-développement économique à travers le franc CFA.
Le formidable racket: Les comptes d'opération
Le Franc CFA (des Colonies Françaises d'Afrique), a été imposé par la France à ses colonies en 1945. De 1945 À 1973, les pays utilisateurs du franc CFA avaient pour obligation de déposer 100% de leurs recettes d'exportation au trésor public français, dans des comptes d'opération ouverts en leur nom. A la réception de ces dépôts la France marque ces sommes au crédit du compte d'opération du pays dépositaire. En 1973 l'obligation des dépôts passe de 100% à 65%. A partir de septembre 2005, la France ne réclame «plus» que 50% des recettes. Et ce système est resté en vigueur jusqu'à aujourd'hui. Non seulement les exportations mais toutes les devises que les pays de la zone franc CFA reçoivent finissent entre les mains de la France. Qu'advient-il de cet argent réquisitionné par la France, et dont les pays africains ne peuvent pas disposer?
- La France emploie ces devises pour payer sa propre dette.
- La France bénéficie des intérêts rapportés par ces capitaux.
- Les intérêts perçus par ces capitaux sont reversés aux pays africains sous forme de crédit, autrement dit utilisés pour endetter les africains.
- Les comptes d'opération sont débités pour s'approvisionner gratuitement en matières premières. Lorsqu'elle reçoit des matières premières, la dette est «marquée» dans le compte d'opération. Conclusion: c'est gratuit.
Durant la 2e guerre mondiale l'Allemagne nazie rançonnait la France de cette manière. Pour pouvoir bénéficier de l'argent se trouvant sur ce compte la France devait recevoir l'accord d'Hitler, accord qui n'a évidemment jamais été donné. A la fin de la guerre la France s'est empressée de montrer aux africains ce qu'elle avait appris et leur a imposé ces compte d'opération.
Le franc CFA n'est pas convertible
On ne peut échanger de Franc CFA nulle part, et surtout pas en France. Les africains n'ont aucun contrôle sur l'impression de leur monnaie puisque l'usine fabriquant la monnaie papier se trouve en France (à Chamalières, près de Clermont-Ferrand). La France étant créatrice de cette monnaie, n'a pas le pouvoir de changer des francs CFA en euros, parce qu'elle n'a pas de pouvoir de contrôle sur l'euro, qu'elle ne crée pas. Le franc CFA n'est pas non plus interchangeables d'un pays de la zone à un autre: un ivoirien ne peut pas se rendre au Cameroun et utiliser sa monnaie. La zone franc CFA n'est pas une zone monétaire. Les relations économiques et commerciales entre les pays l'utilisant sont ainsi très limitées, ils sont maintenus économiquement vulnérables et dépendants.
Autre inconvénient: aucune devise ne peut être convertie en franc CFA par la France (fabricante de cette monnaie), la création monétaire est étouffée.
1 euro = 656 francs CFA
Ce taux de change est fixe et aligné sur l'euro. Les pays utilisateurs de cette monnaie n'ont aucun pouvoir de dévaluer ou de réévaluer leur monnaie et se trouvent lésés dans leurs échanges et, encore une fois complètement dépendants (de la France et) de l'euro. En tant qu'utilisateurs de l'euro, les autres pays européens de la zone euro vont également avoir un droit de regard sur les économies africaines, en conséquence la BCE s'ingère dans les programmes économiques des banques centrales et leur donne des directives.
Dans le vidéo, le professeur Agbohou nous explique également qu'une dévaluation artificielle du franc CFA par la banque centrale européenne permet à l'union européenne d'acheter des des biens aux pays africains à moindre coût (voire la vidéo suivante à 24min55sec).
Cette monnaie a été crée par les colons et pour eux. Le contrôle du franc CFA et ses limites retire toute souveraineté aux pays qui l'utilisent. La souveraineté monétaire est une condition indispensable à la souveraineté politique et au développement de tout pays Selon Nicolas Agbohou, frapper sa propre monnaie (la fabriquer) sur le sol national est une condition indispensable à l'obtention de cette souveraineté, et serait extrêmement facile à réaliser. Toujours selon les dires du professeur, les pays d'Afrique Francophone assujettis à cette monnaie sont victimes de propagande inculquant aux africains que l'indexation de cette monnaie sur l'euro est gage de sécurité et de stabilité économique.
Il est difficile d'obtenir des informations sur les comptes d'opération puisque les montants sont tenus secret. Officiellement les pays peuvent puiser dans ces comptes et disposer de leur «argent» comme bon leur semble. Mais au vu des gigantesques avantages que la France en retire, elle a tout intérêt à placer au pouvoir des dirigeants qui n'aborderont pas le sujet. L'histoire nous a montré que ceux qui ont tenté d'aller à l'encontre des intérêts français ou qui auraient approché le socialisme de trop près ont connu une fin tragique, comme Sylvanus Olympio, Modibo Keita ou Thomas Sankara, ou plus récemment le dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo, jugé à la Cour pénale international (qui ne juge que des africains ou des serbes),entre autres.
Assez de l'attitude impérialiste et paternaliste d'une France qui infantilise les africains en les faisant passer pour trop corrompus, trop immatures pour gérer eux-même leur monnaie. C'est la France qui devrait être jugée à la Cour pénale internationale, au regard de la mort et de la faim qu'elle provoque pour garder la main mise sur ses colonies.La colonisation ne saurait être considérée comme passée dans de telles circonstances.
Claire Fighiera
SOURCES:
- Interview à Meta tv: partie 1 et partie 2
- Pourquoi un débat scientifique sur le franc CFA est-il tabou ?
- « Le franc CFA freine le développement de l’Afrique »
- « Aucun pays africain ne peut être Emergent avec le franc CFA »